Pas d’abus de minorité en cas de défaut d’information des associés
Si l’associé est libre de voter comme il l’entend, il ne saurait néanmoins abuser de ce droit en émettant un vote contraire à l’intérêt social et qui privilégierait ses intérêts personnels. Lorsqu’un minoritaire, titulaire d’une minorité de blocage, fait échec à l’adoption d’une résolution, le dirigeant est souvent tenté d’invoquer l’abus de minorité. Encore faut-il, rappelle la Cour d’appel de Douai, que le minoritaire ait bénéficié d’une information suffisante préalablement à l’assemblée générale.
Dans le cas soumis à la Cour, la restructuration d’un groupe familial avait été mise en échec par l’opposition de l’un des associés. Les majoritaires avaient alors sollicité du tribunal de commerce la désignation d’un mandataire ad hoc pour se substituer au minoritaire, mais le tribunal avait rejeté leur demande.
Devant la Cour d’appel, les appelants plaidaient que l’opposition du minoritaire était motivée par son souhait de sortir du capital du groupe et de compromettre son activité, et ce au profit d’une société concurrente qu’il dirigeait ; son vote était donc contraire à l’intérêt social et dicté par l’intérêt personnel du minoritaire.
A l’inverse, l’intimé soutenait, d’une part, que bien que minoritaire, il était l’associé disposant du plus grand nombre de titres, de sorte qu’il ne pourrait avoir une position contraire à l’intérêt social sans nuire à ses propres intérêts. La Cour balaie cet argument : l’abus de minorité ne peut être écarté du seul fait que le minoritaire détient une participation significative, dès lors qu’elle reste minoritaire.
D’autre part, l’intimé faisait valoir qu’il ne peut y avoir d’abus de minorité que si l’associé minoritaire a disposé des informations suffisantes pour lui permettre de se prononcer en connaissance de cause, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
La Cour accueille cet argument : les rapports adressés aux associés ne contenaient pas d’information sur l’endettement ou la situation financière des sociétés concernées, sur la nécessité de recourir à des financements etc. Elle en conclut que les associés n’ont pas eu connaissance des informations les mettant en mesure de connaître les difficultés des sociétés et d’apprécier les nécessités des mesures proposées. En conséquence, les associés n’étant pas en mesure d’émettre un vote éclairé, il ne peut leur être reproché d’avoir, en votant contre les résolutions proposées, commis un abus de majorité.
L’arrêt est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (cf. Com. 27 mai 1997, 95-15.690, sur une affaire similaire), et la solution retenue va naturellement bien au-delà des hypothèses de restructuration d’entreprises en difficulté : pour toute décision d’importance requérant l’accord des associés, une information « claire, spécifique et circonstanciée » de ces derniers est primordiale, en premier lieu sur le fondement du devoir d’information du dirigeant. Et il ne saurait être reproché à un minoritaire de s’opposer à une décision s’il n’a pas reçu une information suffisante, en quantité comme en qualité.