Cession d’actions : quel formalisme ?
Deux décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 septembre 2024 sont consacrées au formalisme lié aux cessions d’actions.
Le premier arrêt traite de la forme de l’ordre de mouvement.
Une personne avait cédé les actions d’une SAS ; la transaction s’était formalisée par un simple formulaire Cerfa 2759 (enregistrement des cessions d’actions non constatées par un acte), et avait été transcrite au registre des mouvements de titres de la Société. Le cédant invoquait la nullité de la cession, les statuts prévoyant (assez classiquement) que la cession s’opère par un ordre de mouvement.
Ses prétentions sont rejetées par la Cour de cassation.
6. Après avoir énoncé que l’article L. 228-1 du code de commerce dispose que le transfert de propriété résulte de l’inscription des valeurs mobilières au compte de l’acheteur, dans des conditions fixées par décret au Conseil d’Etat, et que l’article R. 228-10 du même code précise que l’inscription au compte de l’acheteur est faite à la date fixée par l’accord des parties et notifiée à la société émettrice et relevé que l’article 10 des statuts de la société Calestor stipule que la transmission d’actions s’opère, à l’égard des tiers et de la société, par un ordre de mouvement signé du cédant ou de son mandataire et mentionné sur le registre des mouvements de titres de la société, l’arrêt constate que la cession litigieuse a fait l’objet d’une inscription au registre des mouvements de titres tenu par la société Calestor, coté et paraphé par le greffe du tribunal de commerce le 31 juillet 2017 ainsi qu’au compte d’actionnaire de M. [S]. Il retient que s’il ressort de l’article 10 des statuts que l’inscription au registre des mouvements de titres doit s’effectuer au vu d’un ordre de mouvement signé par le cédant, aucun texte législatif ou réglementaire ne régit la forme et le contenu de ce document.
7. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que le formulaire Cerfa du 2 février 2017, qui est signé par le cédant et qui comporte toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres et le compte d’actionnaire, vaut ordre de mouvement, de sorte que l’inscription de la cession au registre des mouvements de titres de la société Calestor et au compte d’actionnaire de M. [S] était régulière, que le transfert de propriété était intervenu, et que M. [S] avait la qualité d’actionnaire unique de la société Calestor.
L’ordre de mouvement de titres n’est soumis à aucun formalisme réglementaire. Dès lors que le Cerfa comportait toutes les informations nécessaires pour l’inscription de la cession sur le registre des mouvements de titres, il équivalait à un ordre de mouvement et pouvait parfaitement être transcrit sur le registre.
Com. 18 septembre 2024 n° 22-18.436
Le second arrêt est consacré à l’opposabilité du mouvement de titres à la société.
Une personne avait cédé une participation majoritaire au capital d’une SAS, dont les statuts avaient ensuite été modifiés pour faire état de la nouvelle répartition du capital. Les relations s’étant visiblement corsées entre les parties, le cédant avait été amené à contester la qualité d’associé des cessionnaires. Il estimait en effet que, s’agissant de titres financiers, leur transfert s’opérait à l’égard de la société par un virement du compte-titres du cédant à celui du cessionnaire, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce.
La Cour d’appel avait rejeté cette argumentation sur le fondement du droit de la vente (« la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. », art. 1583 du Code civil).
L’arrêt est censuré par la Cour de cassation, qui rappelle qu’en tant que titres financiers, la propriété des actions ne peut être transmise que par virement de compte à compte :
5. Il résulte de la combinaison de ces textes [articles L. 228-1, R. 228-8, R. 228-9 et R. 228-10 du code de commerce] qu’en cas de cession d’actions non admises aux opérations d’un dépositaire central ou livrées dans un système de règlement et de livraison mentionné à l’article L. 330-1 du code monétaire et financier, le transfert de propriété résulte de l’inscription de ces actions au compte individuel de l’acheteur ou dans les registres de titres nominatifs tenus par la société émettrice. Cette inscription est faite à la date fixée par les parties et notifiée à la société émettrice. Cette date ne peut être antérieure à la notification faite à la société émettrice.
6. Il s’ensuit que le cessionnaire acquiert la qualité d’actionnaire à la date effective de l’inscription, par la société émettrice, des actions cédées au compte individuel de l’acheteur ou sur les registres de titres nominatifs qu’elle tient, cette société pouvant voir sa responsabilité engagée si cette date n’est pas celle fixée par les parties.
7. Pour dire M. et Mme [P] recevables en leur action et désigner, en conséquence, un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale de la société Cinedesigns, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article 1583 du code civil que la vente est parfaite entre les parties et la propriété acquise à l’égard du vendeur dès lors qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé, qu’il est constant que M. [X] a cédé 33 actions pour un prix de 3 300 euros au profit de chacun des consorts [P] et qu’à la suite de cette cession les statuts mentionnant M. et Mme [P] en qualité d’associés ont été modifiés suivant assemblée générale du 20 décembre 2018, ceux-ci ayant été convoqués aux autres assemblées de la société en leur qualité d’actionnaire. L’arrêt en déduit que la qualité d’associés de M. et Mme [P] est opposable tant à l’égard du cédant qu’à l’égard de la société Cinedesigns.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les actions en litige avaient été inscrites au compte individuel des acheteurs ou sur le registre de titres nominatifs de la société Cinedesigns, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Ni l’accord des parties sur la chose et sur le prix, ni l’exécution de ses obligations par le cessionnaire (paiement du prix), ni même la modification des statuts faisant état de la cession ne pouvaient pallier l’absence de transfert des titres du compte du cédant à celui du cessionnaire.