Fusion et responsabilité pénale : vers un régime général
Aux termes de l’article L. 236-3 du Code de commerce, « la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération« . En conséquence, l’ensemble des droits et obligations composant le patrimoine de la société absorbée est, de plein droit, transmis à la société absorbante.
Néanmoins, s’agissant de la responsabilité pénale des personnes morales, ce principe s’est très tôt heurté à celui posé à l’article 121-1 du Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.«
Faisant prévaloir ce principe, une jurisprudence classique de la chambre criminelle de la Cour de cassation excluait la responsabilité pénale de la société absorbante à raison des agissements de la société absorbée commis avant la fusion.
Cette jurisprudence a été renversée en 2020, dans un arrêt particulièrement étayé (Crim. 25 novembre 2020 n° 18-86.955). Mais cet arrêt visait spécifiquement les textes de droit communautaire concernant les fusions de sociétés anonymes (directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiées à l’article 105, § 1, de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés).
Dans un arrêt récent, la Cour de cassation confirme que cette nouvelle interprétation n’est pas limitée aux sociétés anonymes, et que la responsabilité pénale de la société absorbée du fait d’une infraction commise par la société absorbée avant la fusion résulte de la continuité de l’activité économique.
La SARL A avait commis en 2015 divers manquements au droit de l’urbanisme sanctionnés pénalement. Elle avait été absorbée en 2022 par la SARL B. Condamnée par les juges du fond, la société B s’était pourvue en cassation, sous le motif de la violation du principe de personnalité de la responsabilité pénale prévu à l’article 121-1 du Code pénal. La Chambre criminelle rejette le pourvoi aux motifs suivants :
7. Aux termes de l’article 121-1 du code pénal, nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
8. Selon l’article L. 236-3 du code de commerce, applicable aux sociétés à responsabilité limitée, la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n’entraîne pas sa liquidation, de même que le patrimoine de la société absorbée est universellement transmis à la société absorbante et les associés de la première deviennent associés de la seconde.
9. En application de l’article L. 1224-1 du code du travail, tous les contrats de travail en cours au jour de l’opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l’entreprise.
10. Il en résulte que l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération et qu’ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption.
11. Dans une telle éventualité, la société absorbante peut en effet être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.
12. La personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.
13. C’est à tort que la cour d’appel a retenu que la société à responsabilité limitée [10] entrait dans le champ de la directive 78/855/CE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, puisque ce texte ne concerne pas les sociétés à responsabilité limitée.
14. Cependant, l’arrêt attaqué n’encourt pas la censure, dès lors qu’ayant constaté qu’il a été procédé, le 30 septembre 2022, à une opération de fusion-absorption entraînant la dissolution de la société mise en cause et que les faits objet des poursuites sont caractérisés, il pouvait déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.
15. Si la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences quant à l’action publique d’une fusion-absorption lorsqu’elle concerne une société à responsabilité limitée, sa doctrine était raisonnablement prévisible depuis l’arrêt ayant appliqué pour la première fois aux sociétés anonymes les principes rappelés aux points 10 et 11 (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-86.955, publié au Bulletin).
16. Cette solution est donc applicable aux fusions-absorptions conclues postérieurement au 25 novembre 2020.