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Le refus de proroger une société peut constituer un abus de minorité

De jurisprudence constante, commet un abus de minorité l’associé qui, par son vote, adopte une attitude contraire à l’intérêt général de la société en interdisant une opération essentielle pour celle-ci dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts, au détriment des autres associés.

Une SCI, propriétaire d’un château et de ses dépendances et détenue par les copropriétaires d’un lotissement construit autour du château avait été constituée pour une durée de 60 ans ; son activité consistait à préserver et entretenir le domaine, au bénéfice des riverains associés. A ce titre, la SCI ne percevait pas de revenus, mais procédait régulièrement à des appels de fonds auprès de ses associés.

A l’approche du terme statutaire, une assemblée générale avait été convoquée afin de statuer sur la prorogation de la société pour une durée de 99 ans. L’un des associés, détenant une minorité de blocage, s’y était opposé, entraînant le rejet de la décision de prorogation. La société ainsi que les autres associés avaient assigné cet associé afin de faire juger que cette opposition constituait un abus de minorité, et faire désigner un mandataire ad hoc chargé de voter en lieux et place de cet associé à l’occasion d’une nouvelle assemblée générale.

La Cour d’appel avait retenu l’abus de minorité, relevant notamment que l’associé minoritaire, alors qu’il refusait depuis des années de régler sa quote-part de charges, avait acquis une participation substantielle en vue de percevoir un substantiel boni de liquidation.

Dans son pourvoi, l’associé minoritaire contestait cette position. Il estimait que l’abus de minorité n’était pas caractérisé faute de rupture d’égalité entre les associés et de preuve qu’il entendait favoriser ses intérêts personnels. D’autre part, que l’activité de la société étant structurellement déficitaire, sa prorogation était contraire à l’intérêt général, et qu’en tout état de cause, il ne s’opposait qu’à la durée de la prorogation et non à son principe.

La Cour de cassation rejette le pourvoi : le refus de prorogation de la société peut constituer un abus de minorité s’il est contraire à l’intérêt de la société et favorise les intérêts du minoritaire au détriment de ceux des autres associés.

(…) la cour d’appel a exactement retenu que le refus de prorogation du terme de la société était susceptible de constituer un abus de minorité, lorsque le vote de l’associé minoritaire était contraire à l’intérêt général de la société et avait pour unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l’ensemble des autres associés.

(…) elle a caractérisé la rupture dans la recherche de l’intérêt commun, en retenant que M. [L], qui depuis des années refusait de payer sa quote-part de charges, avait cherché à obtenir par son vote ce à quoi il n’était pas parvenu en plusieurs années de conflit judiciaire, à savoir une gestion plus profitable financièrement à laquelle s’opposaient les autres associés, et que, loin d’exercer son droit de retrait, il avait au contraire acquis des parts sociales, ce dont elle a souverainement déduit que son choix était motivé uniquement par un intérêt spéculatif fondé sur la dissolution escomptée de la société. (…)

(…) ayant retenu que M. [L] avait refusé la prorogation, dans le but d’obtenir la dissolution de la société et de percevoir un boni de liquidation, elle a nécessairement écarté l’argumentation selon laquelle il aurait pu admettre une durée de prorogation plus courte que celle de quatre-vingt-dix-neuf ans.

Civ. 3e, 7 décembre 2023 n° 22-18.665

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