Bad leaver, entre clause léonine et clause pénale ?
Il est fréquent qu’un dirigeant associé s’engage à céder à un autre associé les titres qu’il détient à des conditions défavorables s’il est révoqué. Cette clause, dite de bad leaver (ou de sortie défavorable) a fait l’objet d’une abondante jurisprudence depuis une trentaine d’années. Elle était notamment contestée sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil, qui répute non écrites les clauses excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes (clauses léonines).
La chambre commerciale de la Cour de cassation avait originellement posé un principe simple (Arrêt Bowater, Com. 20 mai 1986, n° 85-16.716) :
Est prohibée par l’article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu’il ne pouvait en être ainsi s’agissant d’une convention, même entre associés, dont l’objet n’était autre, sauf fraude, que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux (…)
La jurisprudence postérieure avait néanmoins tempéré ce principe, en l’assortissant de considérations factuelles tenant aux conditions de la convention.
L’arrêt de la Chambre commerciale du 21 juin 2023 (n° 21-21.875) revient à la pureté du principe originel, tout en apportant d’intéressantes précisions. Dans cette affaire, le DG d’une SAS s’était engagé à céder ses titres à une valeur décotée de 20% par rapport à leur prix de souscription au cas où il serait révoqué de ses fonctions. Les relations entre les parties s’étant tendues, il avait assigné la société ; les autres associés en avaient tiré argument pour le révoquer pour faute, et le bénéficiaire de la promesse avait demandé son exécution forcée. L’arrêt de la Cour de cassation présente un triple intérêt.
Sur la clause de bad leaver, la Cour juge qu’elle ne constitue pas, par principe, une clause léonine :
10. Selon l’article 1844-1 du code civil, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, ou celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes, sont réputées non écrites.
11. Seule est prohibée par ce texte la clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes qu’il prévoit.
12. Il en résulte qu’une convention dont l’objet est, sauf fraude, d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, est étrangère au pacte social et est, par suite, sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux dettes dans les rapports sociaux.
En revanche, cette clause est susceptible d’être qualifiée de clause pénale au sens de l’ancien article 1152 du Code civil (dont le principe est repris par le nouvel article 1231-5), soumise au pouvoir de modération du juge si elle est excessive ou dérisoire. En l’occurrence, la Cour d’appel avait réduit la décote des titres (de 20% à 1%). La Cour de cassation admet la qualification de clause pénale retenue par la Cour d’appel, mais casse l’arrêt pour n’avoir pas recherché si les conditions de la modération étaient remplies :
23. Selon ce texte, le juge peut, même d’office, modérer une clause pénale contractuelle si elle est manifestement excessive.
24. Pour réduire à 1 % la décote appliquée au prix de cession des titres de la société Financière Kartesis et fixer, en conséquence, le prix de cession de ces titres, l’arrêt retient que cette décote est une clause pénale qui est manifestement excessive compte tenu des conditions déjà très avantageuses consenties par le promettant.
25. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la peine prévue était manifestement excessive en considération du préjudice réellement subi par M. [P] et la société Induspo, bénéficiaires de la clause, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Enfin, la Cour de cassation, sous le visa de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, casse l’arrêt d’appel pour avoir retenu que le fait que le dirigeant ait assigné la société constituait une faute du dirigeant justifiant sa révocation alors que :
18. Il résulte [de l’article 6§1 de la CESDH] que le droit d’agir en justice constitue une liberté fondamentale.
19. Il s’ensuit que la révocation pour faute du dirigeant ou de l’administrateur d’une société ne saurait, sauf à porter atteinte à cette liberté fondamentale, être fondée sur la circonstance que ce dirigeant ou cet administrateur a introduit une action en justice à l’encontre de la société. Il importe peu, à cet égard, que cette action ait été déclarée non fondée.