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SAS : les décisions peuvent-elles être adoptées à la minorité ? la Cour d’appel résiste !

L’article L. 227-9 du Code de commerce dispose que « les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient ». Sous quelques réserves, toute latitude est laissée à l’imagination du rédacteur, à condition toutefois que le résultat soit cohérent.

Les statuts d’une SAS stipulaient que « les décisions collectives des associés [étaient] adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». En application de cette clause, une augmentation de capital avait été adoptée, la résolution obtenant 46% des voix (soit la « majorité » requise), 54% des voix se prononçant contre.

Si la Cour d’appel de Paris avait rejeté la demande d’annulation, la Cour de cassation avait cassé l’arrêt au motif que : « nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés » (arrêt du 19 janvier 2022 n° 19-12.696, cf. nos commentaires).

L’affaire avait donc été renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée, mais celle-ci rejette de nouveau la demande d’annulation, en apparente contradiction avec les principes posés par la Cour de cassation.

Après avoir rappelé l’adoption de décisions collectives sans appliquer une règle de majorité ne contrevient ni à la loi, ni aux directives européennes invoquées par le demandeur, la Cour juge que les statuts « ne prévoient pas l’adoption des décisions collectives selon une règle de majorité, nonobstant le terme maladroitement emprunté, mais selon une condition de seuil, la résolution soumise au vote étant adoptée dès que le seuil du tiers des droits de vote des associé, présents ou représentés, est atteint ».

S’il s’agit d’une condition de seuil, le paradoxe de l’adoption d’une résolution par une minorité (face à une majorité opposante) disparaît. La Cour juge également que cette modalité ne porte atteinte à aucun principe impératif (droit de participer aux décisions collectives, intérêt social, égalité des associés).

Si la Cour d’appel semble faire prévaloir la liberté statutaire sur l’interprétation quelque peu conservatrice de la Cour de cassation, la portée de l’arrêt doit être relativisée.

D’une part, cette opposition frontale à un arrêt de principe de la Cour de cassation ouvre la voie à un nouveau pourvoi. S’il est formé sur les mêmes motifs que le précédent, ce pourvoi devrait être porté devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.

D’autre part et surtout, la Cour procède-t-elle par requalification ou par dénaturation ? le terme statutaire est bien celui de « majorité » (il suffit d’ailleurs d’en ôter les mots « du tiers » pour que la clause soit parfaitement compréhensible), et aucune stipulation des statuts ne permet de penser qu’un tel mode d’adoption des décisions a été effectivement envisagé par les associés (soumettre au vote une décision dont l’adoption ne dépendrait que d’un critère de seuil nous semble d’ailleurs paradoxal en soi).

CA Paris, 4 avril 2023, n° 22/05320

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