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Sociétés : Nullité pour dol d’un acte passé entre deux sociétés représentées par le même gérant

Selon l’article 1137 du Code civil, « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dole le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. ». Le dol vicie le consentement de celui qui en est victime, et le contrat peut donc être annulé à la demande de ce dernier (article 1131 du Code civil). Mais s’il se conçoit sans difficultés entre personnes physiques, le dol est-il envisageable entre personnes morales représentées par la même personne physique ?

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 11 mai 2022, une société A avait cédé des biens immobiliers à une société B, dont les associés et le dirigeant étaient identiques, la société B souscrivant un emprunt bancaire. Quelques jours après, les titres de la société B avaient été cédés à un tiers. Deux ans plus tard, la société B se trouvant en difficulté (la banque avait saisi l’immeuble), elle assigna la société A en annulation de la vente pour dol, l’immeuble ayant été considérablement surévalué.

La Cour d’appel de Douai (25 mars 2021 n° 19/02408) avait accueilli cette demande et annulé la vente immobilière. Elle retenait que la valeur réelle du bien était nettement inférieure au prix de vente, et que le gérant le savait nécessairement (la société A avait vendu, le même jour, un immeuble équivalent à un prix bien inférieur). En conséquence, le consentement de la société B, acquéreur, avait été vicié, et la vente devait être annulée (ainsi que le contrat de prêt qui en était indissociable). La société A formait un pourvoi en cassation, estimant que la représentation de deux sociétés par le même représentant légal exclut que l’une ait pu être trompée par l’autre.

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel : « le consentement de la société B, personne morale contractante, avait été vicié, n’ayant pu s’exprimer librement par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de la société A, M. X. utilisant pour commettre cette manœuvre dolosive sa double qualité de gérant au sein des deux sociétés. »

Cette décision est discutable sur le plan des principes : la protection de l’intérêt social de la société acquéreur est certes légitime ; faut-il pour autant admettre qu’une même personne physique (ès qualité de représentant légal des deux sociétés contractantes) peut volontairement se dissimuler des informations à soi-même ? la responsabilité du gérant aurait-elle pu être un recours plus pertinent ?

On rappellera néanmoins que les conventions entre sociétés dirigées par une même personne sont, par hypothèse, un terrain fertile pour les conflits d’intérêt. L’attention des dirigeants doit être attirée sur les risques inhérents à ces opérations « main droite – main gauche ».

Cass. Civ. 3e, 11 mai 2022 n° 21-16.992

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