Droit des sociétésVeille juridique

Actes conclus avant l’immatriculation d’une société : le diable est dans les détails !

La société ne jouit de la personnalité morale qu’à compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés (Code civil article 1842, Code de commerce article L. 210-6). Mais il est rare que les associés fondateurs s’abstiennent de toute activité dans l’attente du justificatif de l’immatriculation : ouverture d’un compte bancaire, acquisition de biens, conclusion d’un bail… autant d’actes passés avant que la société n’existe juridiquement. Or, le sort de ces actes dépend d’un formalisme strict, dont la méconnaissance est radicalement sanctionnée, ainsi que l’a récemment rappelé un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

En l’espèce, un prêt bancaire avait été souscrit par « l’EURL (…) en cours d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par Mme (…) » (son associé unique). L’époux de cette dernière s’était porté caution du remboursement du prêt. Un avenant au prêt avait ensuite été signé tant par la société que par la caution. La société ayant été ultérieurement placée en liquidation judiciaire, la banque assignait la caution en remboursement du prêt.

Le litige portait essentiellement sur la validité du contrat. La caution estimait qu’il avait été signé par une société inexistante et était donc nul. Mais la Cour d’appel, estimant que l’associé unique avait « à l’évidence, agi au nom et pour le compte » de la société en formation, en avait confirmé la validité. La caution s’était donc pourvue en cassation.

La Cour de cassation (Com, 19 janvier 2022 n° 20-13.719) casse l’arrêt d’appel : « le contrat de prêt avait été conclu, non pas au nom et pour le compte d’une société en cours de formation mais par la société elle-même, avant son immatriculation au RCS », en conséquence « il était nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de personnalité juridique ». De plus l’avenant n’entraînant pas novation selon ses propres termes, il n’était pas de nature à couvrir la nullité absolue du contrat.

Dans une espèce approchante, la Cour avait jugé que non seulement le contrat conclu par une société « en cours d’immatriculation au RCS », donc dépourvue de personnalité juridique, était nul, mais que le gérant et associé unique n’était pas non plus tenu des obligations résultant des contrats (Com, 10 février 2021 n° 19-10.006).

Ce strict formalisme impose donc de suivre à la lettre les règles posées par la jurisprudence : seuls peuvent engager la société non encore immatriculée les actes « accomplis au nom et pour le compte d’une société en formation », à la condition d’avoir été expressément repris par la société après son immatriculation (soit par reprise des actes lors de la signature des statuts, soit par une décision expresse postérieure à l’immatriculation, soit en donnant mandat dans les statuts pour passer certains actes pour le compte de la société).

La reprise est rétroactive, et libère donc la personne qui a agi pour le compte de la société en formation. En revanche, faute de reprise, seule la personne qui a agi pour le compte de la société est engagée, mais pas la société. Enfin, et c’est l’apport de la jurisprudence citée plus haut, l’acte passé « par » la société en formation (et non « pour son compte ») étant nul, il ne peut faire l’objet d’une reprise et n’engage pas la personne signataire !

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